Cher Gérard,
1986 ... Bientôt Noël, me voici dans ce train, direction Montauban, afin d’y passer les fêtes en famille. Bien qu’heureuse de retrouver mes petits chéris, je sais déjà qu’il y aura une ombre à ce bonheur : Je ne retrouverai pas « Paul » - Paul cet homme rentré par hasard, un soir, dans ce restaurant ou je travaillais – Paul : trois ans de bonheur parsemé de joies, de chagrins.
Lorsque je reviendrai, à nouveau le studio sera vide…
Déjà quatre mois que Paul est sorti de ma vie, aussi discrètement qu’il y était entré.
Pour délester mon cœur de ce trop plein de chagrin je me suis décidé de t’écrire à toi, notre ami, témoin de notre histoire. Tu te souviens de la naissance de mes petits enfants ? C’était la fête avec en plus, en prime, ma rencontre avec Paul !
Côté « mamie » ça va plutôt bien. Mais côté cœur, c’est le raz de marée !
Paul tu te souviens ? De vous deux il était « le clown blanc », celui qui me faisait le plus rire. Il est parti emportant avec lui les rêves magiques que son sourire et sa gentillesse avaient fait naître. Il a tout repris d’un seul coup: ses soleils, ses plages, ses montagnes, ses jeux, nos lits, ses mains, tout…Il n’a pas voulu « m’expliquer » pensant que j’étais assez forte pour en deviner seule, les raisons. Il ignorait que devant l’abandon, je suis la petite fille qui, lorsque les grilles du pensionnat se refermaient, les dimanches soirs de visites, la gorge serrée, gonflée de larmes retenues, ne comprenait pas. C’est avec ce même cœurque je suis restée seule avec les restes de la fête : objets souvenirs, cage vide, lits défaits, fleurs séchées.
Il m’a fallut découvrir toute seule l’étendue de l’absence !
Ah ! Mon bon ami Gérard, à toi je peux dire mes envies de crier - Au secours - Arrêtez les pendules – Zoom arrière !
« Ne me quitte pas, je n’vais plus pleurer, je resterai là, à te regarder » Dit le poète-chanteur. Je suis une femme qui pleure. J’ai des yeux partout, sur les bras, sur les seins, sur les hanches, entre mes cuisses – J’ai parfois si mal, alors je m’enroule dans mes draps, et cherche des odeurs, des bruits, des éclats de rire ou des plaintes de plaisirs. Alors je m’endors dans des abîmes d’amour ; brûlante de passion.
Demain mes lèvres seront meurtries de mes propres morsures, mon ventre douloureux à force de désir. Devant moi la triste perspective de la solitude.
Je sais ce jour qu’il y a deux endroits d’où l’on ne revient pas : La mort et l’oubli.
Toi restes-tu toujours mon ami ? Pourrais-tu m’en rassurer ? – Tu m’avais préparé à ce départ de Paul, pas à ce lâche abandon… Sans même un au-revoir.
Mon train rentre en gare… Sur le quai ils sont là mes deux petits : pour eux je suis « mamie de Nice » le cœur battant ils guettent mes bagages où se cachent les cadeaux. Moi, je quêtes dans leurs regards, un signe, un espoir, une ou plutôt mille raisons d’espérer, pour continuer de vivre, d’aimer, de croire de vouloir et d’offrir tout l’amour que je porte en moi. Moi, aujourd’hui, « la mendiante »
M. JOLAS
De Nice et Montauban Décembre 1986